Faut-il être heureux au travail cette année ?

Publié par Cathrine Mathey le

En cette période de début d’année, les vœux pour la nouvelle année se multiplient. Joie, santé et bonheur. Comme la rentrée scolaire et professionnelle nous rattrape ces jours, ces vœux glissent rapidement dans la sphère du travail.

Or, ces vœux qui sont autant d’attentes, ressemblent à des injonctions sociales. Et dans le monde du travail, après la performance individuelle au travail, puis l’empowerment[1], le bonheur est devenu la dernière norme à atteindre. Il faut travailler et surtout être heureux. Alors en tant que psychologue du travail, je me demande : si le travail peut contribuer au bonheur, doit-il s’y soumettre et en faire un objectif ?

On sait depuis Jahoda[2] que le travail remplit plusieurs fonctions. On travaille manifestement pour manger et se sentir en sécurité. Il permet en plus de définir sa position sociale, en bref, d’indiquer aux autres, qui on est dans la société. Il structure également notre temps et nous offre ainsi quelques remparts face à l’angoisse du temps qui passe, ou à celle plus prosaïquement dit, de la mort. Finalement, il nous permet d’acquérir de nouvelles habiletés et compétences sociales.  

Et c’est déjà beaucoup. Attendre du travail qu’il nous rende heureux, c’est peut-être louable, mais c’est surtout en attendre trop. Le travail se transforme dès lors en tyran.  

Car il ne faut pas se voiler la face.  Les relations de travail sont composées d’enjeux, de pouvoir, de confrontations visibles ou souterraines, de rapports de forces inégaux, de tensions. L’organisation du travail n’est pas toujours optimale et en adéquation avec l’activité concernée. Or, le bonheur au travail est un concept qui table essentiellement sur une vision individualiste des rapports au travail.  Chacun doit travailler sur lui-même, développer la conscience de soi et manier les techniques de développement personnel pour contribuer au succès de l’organisation. De plus, la notion de bonheur au travail fait totalement abstraction du travail, du métier. « Il s’agit d’être heureux au travail et non pas par le travail. […] Or, c’est bien dans l’activité réelle de travail que l’on peut donner un sens à ce qu’on produit, aux services qu’on propose.»[3]. Elle fait également l’impasse sur les considérations structurelles et organisationnelles des entreprises. Cette perspective individualiste du bonheur au travail fait par conséquent peser beaucoup de poids sur les épaules du personnel, ce qui a pour conséquence contradictoire de le stresser encore plus voire de péjorer sa santé.

Dès lors, plutôt que de viser le bonheur au travail, Expertise RH plaide pour la santé au travail qui dépend autant des individus qui peuvent prendre soin de leur santé, que du collectif et de l’organisation du travail qui doivent se remettre en question et s’adapter à l’activité et aux employés afin de favoriser le sens et la cohérence. A ce titre, les solutions pour favoriser la santé au travail doivent s’arrimer à l’organisation du travail, à la communication au sein des équipes, aux relations entre management et subordonnés, aux conditions de travail, à la répartition, à la coordination et au suivi du travail à effectuer, pour ne citer que les plus importants éléments du point de vue collectif ou organisationnel.

Ainsi, faire du bonheur un objectif pour chaque employé-e représente un idéal risqué.  

Si chacun est l’artisan de son bonheur, demander au travail de le réaliser n’est pas le bon chemin, à tout le moins insuffisant, car le bonheur se construit dans l’ensemble de nos activités de vie dont le travail bien heureusement n’est qu’une dimension.

Une vidéo du Monde sur ce thème : https://www.youtube.com/watch?v=4MVVWkALeYE.


[1]Définition d’empowerment par l’Office québécois de la langue française : « processus par lequel une personne, ou un groupe social, acquiert la maîtrise des moyens qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer son potentiel et de se transformer dans une perspective de développement, d’amélioration de ses conditions de vie et de son environnement ».

[2] Marie Johada, Paul Lazarsfeld, Hans Zeisel, Les chômeurs de Marienthal, 1982.

[3] Les servitudes du bien-être au travail, impacts sur la santé, Sophie Le Garrec, 2021.

Catégories :